La lettre à Lucilius de Sénèque sur la nécessité de fuir la foule

Mais aussi les spectacles cruels, et de protéger les esprits des mauvaises influences

Sénèque, ses merveilleuses Lettres à Lucilius, la Lettre 7, et sa réécriture en 2018 par un certain Ternoise.

Le nouveau titre :

Fuir la foule, les spectacles cruels, protéger les esprits des mauvaises influences...

























LETTRE VII : Fuir la foule, les spectacles cruels, protéger les esprits des mauvaises influences



Tu me demandes ce que tu dois absolument éviter ? La foule.

Tu ne saurais t’y risquer sans danger. Je t’avoue d’ailleurs ma faiblesse : jamais je ne rentre chez moi tel que j’en suis parti. Toujours quelque trouble a lézardé mon équilibre intérieur, quelque tentation bannie est réapparue. Le malaise qu’éprouvent à la moindre sortie les malades amoindris par un long état de faiblesse, s’empare de notre âme encore convalescente. La fréquentation du monde est néfaste. Là, tout nous encourage au vice, l’imprime en nous, à notre insu nous souille. Et plus nombreuse est la foule à laquelle nous nous mêlons, plus le danger se multiplie. Rien n’est plus funeste à la morale que les spectacles : les vices s’y insinuent en nous par l’attrait du plaisir. Veux-tu toute ma pensée ? D’un séjour au milieu des hommes, je reviens plus attaché à l’argent, à l’ambition, à la volupté, et même plus cruel, moins humain.



Le hasard vient de m’entraîner au spectacle de midi : je m’attendais à des jeux, des facéties, des divertissements où l’oeil se repose de la vue du sang humain. C’est le contraire : les combats précédents relevaient de la pure clémence ! Cette fois, plus de bagatelle : l’homicide dans toute sa crudité. Le corps n’a rien pour se couvrir, il est entièrement exposé aux coups, et pas un ne porte à faux. La foule préfère cela aux gladiateurs ordinaires, et même extraordinaires. Comment n’en serait-il pas ainsi ? Ni casque ni bouclier n’arrête le fer. À quoi serviraient ces protections, les ruses de l’escrime ? À retarder la mort.

Le matin, on livre des hommes aux lions et aux ours, à midi aux spectateurs. Par ordre de la foule, on met aux prises ceux qui ont tué avec d’autres qui les tueront, et tout vainqueur est réservé pour une nouvelle boucherie. Le sort de tous, c’est la mort ; le fer et le feu accomplissent la besogne. Cela, pour occuper les intermèdes !



« - Mais cet homme est un brigand !

- Eh bien, il mérite le gibet.

- C’est un assassin !

- Tout assassin doit subir la peine du talion. Mais toi, qu’as-tu fait, malheureux, pour t’infliger un tel spectacle ? »

« Les fouets ! Le feu ! La mort ! hurle-t-on. En voilà un qui s’enferre trop mollement, tombe avec peu de fermeté, meurt de mauvaise grâce ! »

Le fouet les renvoie aux blessures ; et ces poitrines nues doivent s’offrir aux coups.

Vient l’entracte… On égorge encore, pour ne pas rester à ne rien faire !



Romains ! Ne sentez-vous donc pas que l’exemple du mal retombe sur ceux qui le donnent ? Rendez grâce aux dieux immortels : ils vous laissent enseigner la cruauté à celui qui ne peut l’apprendre.



Il faut soustraire de l’influence populaire tout esprit trop tendre et peu ferme dans la bonne voie : aisément il passe du côté de la foule. Même Socrate, Caton ou Lélius auraient pu laisser emporter leur vertu par le torrent de la corruption ; et nous, dont le caractère se forme tout juste, comment résisterions-nous aux innombrables tentations ?

Un seul exemple de profusion ou d’avarice fait beaucoup de mal ; la présence à notre table d’un délicat peu à peu nous effémine, nous amollit ; le voisinage d’un riche irrite la cupidité ; le seul contact d’un individu mauvais suffit à transmettre sa rouille d’immoralité au coeur le plus pur ; que penses-tu qu’il adviendrait de tes moeurs livrées aux assauts de tout un peuple ? Fatalement tu l’imiteras ou manifesteras ta répulsion. Double écueil à éviter : ressembler aux méchants parce qu’ils sont les plus nombreux, haïr le grand nombre parce qu’il diffère de nous.

Recueille-toi en toi-même, le plus possible ; fréquente ceux qui te rendront meilleur, reçois ceux que tu peux rendre meilleurs. Il y a ici réciprocité, enseigner instruit. Préserve-toi de l’envie d’une vaine gloriole, pouvant t’entraîner à te produire devant un auditoire peu digne. Je te laisserais faire si tu avais de la marchandise adaptée à ce public-là. Mais aucun ne te comprendrait, hormis peut-être un ou deux par hasard ; encore te faudrait-il les former, les élever à t’entendre.

« Eh, me diras-tu, pour qui donc ai-je tant appris ? » Ne crains pas d’avoir perdu ta peine: tu as appris pour toi.



Cependant, ne souhaitant pas avoir appris aujourd’hui pour moi seul, voilà trois belles maximes à peu près sur ce sujet ; l’une payera la dette du jour, tu prendras les autres comme avance. Démocrite a dit : « Un seul homme m’est autant que tout un peuple, et tout un peuple autant qu’un seul homme. » J’approuve également, quel qu’en soit l’auteur, car ce mot est attribué à plusieurs, sa réponse quand on lui demandait pourquoi il soignait tant des œuvres que si peu d’hommes connaîtraient : « C’est assez de peu, assez d’un, assez d’aucun. » La troisième, aussi remarquable, est d’Epicure ; il écrivait à l’un de ses compagnons d’études : « Ceci n’est pas pour la foule, mais pour toi, car nous constituons l’un pour l’autre un auditoire suffisant. »

Garde cela, Lucien, au plus profond de toi, ainsi tu apprendras à mépriser l’espèce de plaisir que nous ressentons à l’approbation du plus grand nombre. Beaucoup de gens te suivent, t’applaudissent ? Eh bien ! Est-ce une raison de t’estimer davantage d’être de ceux compris par la foule? C’est en toi que tes mérites doivent briller.







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